L197xH281-jules-ferry-676f1-copie-1.jpg Mais une fois que vous vous êtes ainsi loyalement enfermé dans l'humble et sûre région de la morale usuelle, que vous demande-t'on? Des discours? Des dissertations savantes? De brilliants exposés, un docte enseignement? Non, la famille et la société vous demandent de les aider à bien élever leurs enfants, à en faire des honnêtes gens. C'est dire qu'elles attendent de vous non des paroles, mais des actes, non pas un enseignement de plus à inscrire au programme, mais un service tout pratique que vous pourrez rendre au pays plutôt encore comme homme que comme professeur.

               Il ne s'agit plus là d'une série de vérités à démontrer mais, ce qui est tout autrement laborieux, d'une longue suite d'influences morales à exercer sur de jeunes êtres, à force de patience, de fermeté, de douceur, d'élévation dans le caractère et de puissance persuasive. On a compté sur vous pour leur apprendre à bien vivre par la manière dont vous vivez avec eux et devant eux. On a osé prétendre pour vous à ce que d'ici quelques générations les habitudes et les idées des populations au milieu desquelles vous aurez exercé attestent les bons effets de vos leçons de morale. Ce sera dans l'histoire un honneur particulier pour notre corps enseignant d'avoir mérité d'inspirer aux Chambres françaises cette opinion, qu' il y a dans chaque instituteur, dans chaque institutrice, un auxiliaire naturel du progrès moral et social, une personne dont l'influence ne peut manquer en quelque sorte d'élever autour d'elle le niveau de moeurs. Ce rôle est assez beau pour que vous n'éprouviez  nul besoin de l'agrandir. D'autres se chargeront plus tard d'achever l'oeuvre que vous ébauchez dans l'enfant et d'ajouter à l'enseignement primaire  de la morale un complément de culture philosophique ou religieuse. Pour vous, bornez-vous à l'office que la société vous assigne et qui a aussi sa noblesse: poser dans l'âme des enfants les premiers et solides fondements de la moralité.

         Dans une telle oeuvre, vous le savez, Monsieur, ce n'est pas avec des difficultés de théorie et de haute spéculation que vous avez à vous mesurer: c'est avec des défauts, des vices, des préjugés grossiers. Ces défauts, il ne s'agit pas de les condamner - tout le monde ne les condamne-t'il pas - mais de les faire disparaitre par une succession de petites victoires obscsurément remportées. Il ne suffit donc pas que vos élèves aient compris et retenu ses leçons, il faut surtout que leur caractère s'en ressente: ce n'est pas dans l'école, c'est surtout hors de l'école qu'on pourra juger ce qu'a valu votre enseignement.

        Au reste, voulez vous en juger vous -même dès à présent et voir si votre enseignement est bien engagé dans cette voie, la seule bonne: examinez s'il a déjà conduit vos élèves à quelques réformes pratiques. Vous leur avez parlé, par exemple, du respect dû à la loi: si cette leçon ne les empêche pas, au sortir de la classe, de commettre une fraude, un acte, fût-t'il léger, de contrebande ou de braconnage, vous n'avez rien fait encore: la leçon de morale n'a pas porté. Ou bien vous leur avez expliqué ce que c'est que la justice et que la vérité: en sont-ils assez profondément pénétrés pour aimer mieux avouer une faute que de la dissimuler par un mensonge, pour se refuser à une indélicatesse ou à un passe-droit en leur faveur? Vous avez flétri l'égoïsme et fait l'éloge du dévouement: ont'ils, le moment d'après, abandonné un camarade en péril pour ne songer qu'à eux-mêmes? Votre leçon est à recommencer.

        Et que ces rechutes ne vous découragent pas. Ce n'est pas l'oeuvre d'un jour de former ou de réformer une âme libre. Il y faut beaucoup de leçons sans doute, des lectures, des maximes écrites, copiées, lues et relues; mais il y faut surtout des exercices pratiques, des efforts, des actes, des habitudes. Les enfants ont en morale  un apprentissage à faire, absolument comme pour la lecture ou le calcul. L'enfant qui sait reconnaître et assembler des lettres ne sait pas encore lire; celui qui les trace l'une après  l'autre ne sait pas écrire. Que manque-t'il à l'un et à l'autre? La pratique, l'habitude, la facilité, la rapidité et la sûreté de  l'exécution. De même l'enfant qui répète les premiers préceptes de la morale ne sait pas encore se conduire: il faut qu'on l'exerce à les appliquer couramment, ordinairement, presque d'instinct; alors seulement la morale aura passé de son esprit dans son coeur, et elle passera de là dans sa vie, il ne pourra plus la désapprendre.

...... Et c'est ainsi que commença le "formatage des enfants" et que l'enseignant fut placé au service d'une politique visant à manipuler les esprits et à museler l'expression autre. Il fut, par l'extrême honneur qui lui était rendu,  promu  responsable des désordres et malfaisances ....

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